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Les clauses de compétence en transport maritime

  • cabinet902
  • 14 oct. 2022
  • 20 min de lecture




Au préalable, quelques éléments de contexte :

  • Les grosses cargaisons concernent le vrac sec ou liquide. Par navire entiers, ou demi-navires. Le contrat est le plus souvent une charte-partie, à temps ou au voyage, avec clause d'arbitrage. L'objet du contrat est le navire.

  • Les expéditions plus petites - produits finis le plus souvent - se font généralement par conteneurs. Le navire transporte de multiples cargaisons, pour de multiples clients et sur des lignes régulières, au contraire du schéma précédent. Nous ne sommes plus ici sous charte-partie, mais sous contrat de transport dont l'objet est la cargaison, chaque conteneur donnant lieu à émission d'un connaissement. Avec clause de juridiction.

De manière schématique, la charte-partie, supposée conclue entre parties de poids économiques comparables est relativement équilibrée, tandis que le contrat de transport, supposé conclu entre une partie dominante, l'armateur, et une partie dominée, le chargeur, protège plus ce dernier.



Pour autant, le transport maritime donne souvent lieu à des chaînes de contrat du fait de la diversité des acteurs en jeu.







Ainsi, un navire qui opère en émettant des connaissements de transport pour ses clients peut lui-même être affrété à son armateur. Nous sommes donc en présence :

  • d'un armateur, lié à son affréteur




par une charte partie dont l'objet est le navire ;

  • de cet affréteur, devenu transporteur et lié à ses clients par des connaissements, dont l'objet est la cargaison.

→ Ainsi, pour transporter la même cargaison sur le même navire, deux types de contrats, liant trois parties par des obligations différentes...

Outre, bien entendu, le cas du connaissement de C/P et de la clause Paramount (désignation d'une loi étrangère).


Définition des clauses de compétence :

Le tribunal étatique ou la juridiction arbitrale est généralement désigné par le moyen d'une clause du connaissement (dite « attributive de compétence ou de juridiction » pour un tribunal de droit commun et « compromissoire » en cas d'arbitrage). La licéité d'une telle clause doit s'apprécier en fonction soit de la loi propre du contrat, soit de la loi du lieu d'émission du connaissement.

Les clauses de compétence sont une technique juridique employée de manière préventive pour faire échapper un litige à son juge naturel.

Elles sont en règle générale stipulée pour des raisons d'opportunité : localisation des parties, connaissance du droit processuel, efficacité des procédures ou compétence des juges ou arbitres.

Les clauses attributives de juridiction et les clauses compromissoires procèdent de logiques différentes ; cependant le régime de ces clauses est globalement le même, sauf pour des questions spécifiques (en matière d'opposabilité aux tiers et de contrôle par le juge notamment). C'est pourquoi nous les examinerons ensemble pour les besoins de cette présentation.


Les éléments nécessaires à la validité de la clause


Une validité de principe


  • En droit français

Le Code des transports ne prohibe ni les clauses attributives de juridiction, ni les clauses compromissoires. Celles-ci sont donc valables, s'agissant de commerçants ou en raison d'une activité professionnelle.

L'insertion de ces clauses dans un contrat international fait partie de son économie et emporte renonciation au privilège de juridiction.

L'attribution de compétence à un tribunal étranger est licite.

La cession de créance entraîne la transmission de la clause compromissoire.

  • Selon les Conventions internationales « maritimes »

- Convention de Bruxelles de 1924 : ne prohibe pas l'adoption par les parties à un contrat de transport maritime international de clauses particulières en matière de compétence dérogeant au droit commun.

- Convention de Hambourg : les parties peuvent prévoir de soumettre leur litige à l'arbitrage : la procédure est engagée soit au lieu désigné dans la clause compromissoire, soit dans un de ceux prévus par la Convention (Conv. Hambourg, art. 22).

Si les clauses compromissoires bénéficient d'une validité encadrée dans les contrats de droit français, elles sont en revanche considérées comme systématiquement valables dans les contrats internationaux.

Ni la nullité ni l'inexistence du contrat n'affectent la clause compromissoire qui y figure → principe d'autonomie de la clause compromissoire.


La nécessité d'un écrit ou d'un « usage établi »


Application des textes communautaires dès lors que l'une des parties est domiciliée dans un État de l'UE et que la clause désigne un tribunal d'un Etat membre.


Les règlements européens admettent les « prorogations de compétence » qui doivent être convenues selon les termes suivants :

  • être conclues « par écrit ou verbalement avec confirmation écrite » ;

  • ou « sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles » ;

  • ou encore « dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche du commerce considéré (...) ».

La transmission électronique est considérée comme « revêtant une forme écrite ».


Deux arrêts notables de la CJCE sont venus interpréter et compléter ces textes.

  • arrêt Castelletti (CJCE, 16 mars 1999, aff. C-159/97) :

    • précise la notion d'« usages » → appréciés au regard des seules pratiques commerciales, « l'existence d'un usage (…) [étant] établie lorsqu'un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs ». Le transport maritime constitue une branche spécifique du commerce international au sens du règlement, les attributions de compétence au tribunal du siège du transporteur étant fréquentes.

    • se prononce sur le régime probatoire : le fait de se conformer à un usage permet de présumer que les parties ont donné leur consentement à la clause attributive de juridiction.

  • arrêt Coreck (CJCE, 9 nov. 2000, aff. C-387/98) : la clause doit désigner le tribunal d'un État membre et l'une des parties au contrat au moins doit avoir son domicile sur le territoire d'un État membre.

Par ailleurs, des conventions judiciaires bilatérales peuvent être subsidiairement applicables.


Lisibilité de la clause


Les clauses compromissoires, comme les clauses attributives de compétence, doivent être lisibles.


Ont été jugées inopposables :

  • une clause écrite en caractères indéchiffrables sans le secours d'une loupe ;

  • une clause comportant quelques lignes « noyées » dans un texte d'une très grande longueur ou difficilement déchiffrable ;

  • une clause rédigée en très petits caractères, insérée sans distinction parmi 36 articles.

En revanche, ont été jugées opposables :

  • une clause imprimée en petits caractères, au motif que la rédaction des documents maritimes suit en tout temps et en tout lieu les mêmes usages ;

  • une clause contenue dans un paragraphe spécial séparé du précédent par un double interligne ;

  • une clause compromissoire figurant dans la confirmation de réservation (booking confirmation) d'un navire qui n'a pas été contredite par les conditions générales types du connaissement, qui ne trouvent à s'appliquer qu'à titre subsidiaire.

Par ailleurs, une clause attributive de juridiction figurant au verso du connaissement satisfait aux conditions de forme posées en droit communautaire → pratique la plus courante.


Désignation de la juridiction compétente



Notion de juridiction déterminable : une clause attributive de compétence ne contenant pas la désignation nominative de la juridiction qui doit être saisie n'est pas nulle si elle est aisément déterminable (licéité d'une clause d'attribution « aux tribunaux fédéraux de la ville de Buenos Aires »).

« dans l'ordre international, la désignation générale des juridictions d'un État étranger est licite si le droit interne de cet État permet de déterminer le tribunal spécialement compétent » ; il en est ainsi par exemple de la loi anglaise).


Ont été jugées inopposables des clauses :

  • attribuant compétence au lieu où le transporteur a son principal établissement, son imprécision la rendant inapplicable car elle ne permet pas, sans des recherches approfondies, de déterminer quel est le tribunal compétent, notamment lorsque le transporteur (étranger) a un certain nombre de filiales implantées dans divers pays et que le connaissement délivré sous son nom porte une adresse à Paris ;

  • de compétence alternative, se référant soit au tribunal de Caracas, soit à celui de Bogota, stipulée dans un connaissement joint service, s'il est impossible de déterminer le transporteur effectif.


Enfin, des stipulations comportant une condition potestative sont nulles. Ainsi jugé d'une clause renvoyant à la juridiction compétente de Rio de Janeiro « à la discrétion du transporteur ».

Le caractère potestatif d'une clause, attributive de compétence cette fois, a été soulevé à propos d'une prorogation qui outre la référence au tribunal d'Anvers, désignait également toute juridiction où le merchant avait son domicile ou ses biens. La stipulation a été jugée conforme tant au droit belge qu'à la loi française et au règlement communautaire, son application n'étant pas laissée à la discrétion du transporteur mais offrant davantage de choix.

De même, ne présentent pas de caractère potestatif et ne sont pas contraires à l'objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi par le règlement, la clause du connaissement qui, dans sa première partie, désigne le tribunal régional de Hambourg pour connaître des différends qui naissent à l'occasion de l'exécution du connaissement et, dans sa seconde partie, offre aux transporteur « pour les litiges relatifs aux frais », la possibilité de saisir le tribunal du domicile, du siège social ou du lieu d'exploitation du marchand, ainsi que la clause du connaissement qui désigne la Haute Cour de justice de Londres pour connaître des différends qui naissent à l'occasion de l'exécution du connaissement, ou alternativement et à la seule option du transporteur, le tribunal d'un des lieux d'activité du marchand.


→ La cohabitation des clauses d'attribution de juridiction et d'arbitrage : il ne saurait y avoir contradiction entre une clause compromissoire et une clause attributive de compétence dès lors que cette seconde n'est applicable qu'à défaut d'accord amiable, les deux clauses trouvant donc à s'appliquer successivement.


Consentement du chargeur : preuve de l'acceptation des clauses attributives de juridiction et des clauses compromissoires


Principe : les clauses compromissoires et clauses attributives de juridiction, étant exorbitantes du droit commun, ne sont opposables aux parties que si elles les ont acceptées.


→ la clause ne peut être considérée comme acceptée lorsqu'elle figure dans un document distinct du connaissement : stipulation insérée dans une lettre de garantie, clause de charte-partie non reproduite au connaissement.

  • A l'inverse, il a été considéré que la clause d'arbitrage figurant sur une confirmation de réservation booking confirmation d'un navire signée par les représentants du chargeur et du transporteur manifeste leur acceptation.


le caractère probatoire de la signature


La signature n'est pas obligatoire pour déterminer le consentement du chargeur, mais elle permet au transporteur de se ménager un moyen de preuve.

Ainsi, la clause attributive de compétence est opposable « peu important le moment auquel son mandataire [avait] apposé sa signature au dos des connaissements à ordre ».

En l'absence de signature de la charte par le vendeur de la cargaison, a été jugée inopposable une clause d'arbitrage au profit d'arbitres londoniens et ce malgré « des éléments posant interrogation » sur la manière dont la charte-partie avait été négociée.


La preuve du consentement du chargeur


Les solutions, inspirées de la jurisprudence Castelletti relative à « l'usage établi », varient toutefois au gré des faits examinés sous cet angle.


Jurisprudence retenant le consentement du chargeur :

  • Les juges peuvent établir cette présomption de « connaissance des usages », en s'appuyant notamment sur divers connaissements émis par d'autres transporteurs et renfermant le même type de clause et sur le fait prouvé que le chargeur était « en relations habituelles avec des opérateurs agissant dans le domaine du transport maritime international ».

  • le chargeur était censé connaître l'usage du commerce maritime international selon lequel les connaissements contiennent une clause attributive de juridiction.

  • l'insertion d'une clause attributive de compétence est « un usage largement connu et observé dans le commerce maritime », si bien que l'acceptation d'une telle clause ne nécessite pas un accord écrit lors de la conclusion du contrat, tout en ajoutant qu'un commissionnaire de transport, professionnel de ce secteur qui a contracté, en qualité de chargeur, sans émettre de réserve, ne peut ignorer l'existence de cet usage et ne peut donc pas contester la clause que lui oppose le transporteur.

  • un professionnel de l'import-export de volailles à l'international, « exportateur régulier » et client de la compagnie de ligne qui « connaissait nécessairement les conditions de transport reproduites au dos des connaissements », est réputé avoir connu et accepté la clause attributive.

  • un praticien de longue date de l'organisation ayant, en sus, négocié les conditions de transport, le commissionnaire ne pouvait ignorer la prorogation de compétence « figurant de manière habituelle au verso du connaissement », peu important que ce dernier ait été émis après embarquement et dépourvu de signature.


A l'inverse, les juges ont pu estimer que :

  • une compagnie de navigation ne pouvait se prévaloir de sa clause de prorogation de compétence dès lors que le chargeur (un commissionnaire) n'avait pas signé le connaissement et qu'il n'existait pas un courant d'affaires qui lui aurait permis de connaître le contenu de la clause litigieuse.

  • le chargeur ayant systématiquement recours aux services d'un commissionnaire, il n'est pas censé avoir eu connaissance de la clause.

  • idem « en l'absence de relations antérieures » entre chargeur et transporteur

  • idem lorsque la clause est prévue par une charte partie à laquelle il est étranger et dont il n'a pu avoir connaissance.

  • la clause attributive de compétence figurant au connaissement est inopposable au chargeur qui n'a pu en convenir au sens de l'article 23.1 du règlement no 44/2001, le commissionnaire étant le seul cocontractant du transporteur. Faisant primer le consentement, le juge n'a pas retenu le moyen soulevant que la clause correspondait à un usage en vigueur dans le domaine du commerce international où les parties opèrent.

  • la mention du chargeur au connaissement ne suffit pas à le rendre partie au sens du règlement no 44/2001, l'envoi annuel de plusieurs conteneurs (un à dix par mois) vers la même destination étant inopérant.


Un arrêt récent (2016) justifie l'opposabilité de la clause, au-delà des arguments classiques, par l'idée d'équilibre c'est-à-dire par le fait que les commissionnaires ne sauraient se plaindre d'être contraints de plaider à l'étranger dans la mesure où, compte-tenu de la garantie qu'ils offrent à leurs clients, leurs parts de marchés sont plus importantes que celles des transporteurs.


Contrôle par le juge : le principe « compétence-compétence »


Le principe « compétence-compétence » résulte du Code de procédure civile et comporte deux aspects :


Aspect positif :

CPC, art. 1465 : « il appartient à l'arbitre de statuer sur sa propre compétence », autrement dit de se prononcer sur l'existence, la validité et l'étendue de la convention d'arbitrage.


Aspect négatif :

CPC, art. 1448 : lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction étatique, celle-ci se déclare incompétente. Exceptions:

  • si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi, et

  • si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable. Seuls la nullité (ou l'inapplicabilité) manifeste de ladite convention ou le caractère manifestement illicite de la clause sont donc de nature à faire obstacle au principe « qui consacre la priorité de la compétence arbitrale ». Faveur de la jurisprudence française pour l'arbitrage : l'absence de signature du connaissement émis par référence à une charte-partie à laquelle le commissionnaire était tiers ne rend pas nulle ou manifestement inapplicable la clause compromissoire qu'il contient. Les exemples de clause manifestement nulle ou inapplicable sont rares, le contrôle effectué par la Cour de cassation étant extrêmement strict. En ce sens :

  • Cass. com., 21 févr. 2006, no 04-11.030 (navire Pella) : fait prévaloir le principe de « compétence-compétence » sur sa doctrine relative à l'opposabilité des clauses de compétence aux destinataires. Elle a, en effet, approuvé une cour d'appel qui avait décliné sa compétence après avoir constaté « qu'il n'existait pas de cause de nullité ou d'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire » figurant dans la charte-partie et mentionnée au connaissement. Dans ce cas, les juges n'avaient pas à examiner plus avant la demande du destinataire qui soutenait que cette clause lui était inopposable.

  • dans un litige opposant un agent maritime et un transporteur, la cour d'appel refuse d'écarter la clause compromissoire en raison de l'absence d'incidence des dispositions d'ordre public régissant le fond du litige et de moyen pertinent propre à la faire déclarer nulle ou manifestement inapplicable.

  • « l'exercice, à titre conservatoire, d'une action en garantie devant la juridiction étatique ne caractérise pas une renonciation non équivoque à une convention d'arbitrage »


A l'inverse, quelques arrêts retiennent la compétence de la juridiction étatique :

  • la clause compromissoire est jugée « manifestement inapplicable », celle-ci figurant dans des réservations de fret qui avait été remplacées, selon « une nouvelle expression de la volonté des parties », par les stipulations des connaissements.

  • Jugé que, figurant en copie au recto du connaissement ainsi que dans un exemplaire des conditions générales ne permettant pas d'identifier leur auteur et leur date, l'existence d'une clause compromissoire n'était pas établie, ce qui a conduit à écarter le principe compétence-compétence.

  • le chargeur avait assigné le commissionnaire et le transporteur qui se prévalait ne clause compromissoire au profit de la London Arbitration Association, exception à laquelle le tribunal avait fait droit. Sur contredit du chargeur, qui plaidait l'inapplicabilité de la stipulation figurant dans la liner booking note (où était aussi présente une clause attributive de juridiction) et son absence de reprise dans le contrat de commission, le juge s'est rendu à ses arguments. Il a relevé, en sus, que la saisine d'un arbitre par l'organisateur dans le cadre de son recours contre le transporteur n'avait pas d'incidence sur l'action principale contre le commissionnaire car « l'appréciation de sa responsabilité en était le préalable nécessaire ». En raison de la pluralité de défendeurs, le juge a fait application de l'article 6, 1), du règlement no 44/2001, se reconnaissant compétent pour statuer sur les demandes contre les deux intervenants. Situation particulière : pour éviter la saisie de son navire, l'opérateur maritime renonce au bénéfice de la clause compromissoire et accepte de se soumettre à une autre juridiction. Dans ce cas de « novation », les arbitres qui auraient normalement dû se prononcer n'ont plus eu à le faire.



L'opposabilité de la clause aux tiers au contrat




Opposabilité au destinataire


Le destinataire, tiers au contrat ou successeur du chargeur



En fonction du connaissement applicable (« au porteur », à ordre » ou « nominatif »), le destinataire final de la marchandise peut changer au cours du transport. Cependant et s'agissant de la question de la clause de compétence, cela n'a pas d'incidence sur les droits du tiers porteur du connaissement, de telle sorte qu'il ne sera référé qu'au destinataire dans cette présentation.


Le destinataire est, selon le droit national applicable, considéré comme un tiers (France, Belgique) ou une partie au contrat de transport succédant au chargeur (Royaume-Uni).


L'arrêt Coreck précité (CJCE, 9 nov. 2000, aff. C-387/98) offre une alternative. L'opposabilité de la clause suppose :

  • soit que le tiers porteur du connaissement a, en vertu du droit national applicable, succédé aux droits et obligations du chargeur,

  • soit qu'il a consenti à la clause attributive de compétence dans le cadre des exigences du droit communautaire.

En application de l'arrêt Coreck, la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation française ont énoncé en des termes identiques le principe suivant : « Attendu qu'une clause attributive de juridiction convenue entre un transporteur et un chargeur et insérée dans un connaissement, produit ses effets à l'égard du tiers porteur du connaissement pour autant que, en l'acquérant, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable ; que dans le cas contraire, il convient de vérifier son consentement à la clause [en conformité avec un usage commercial] ».

En ce sens et à propos d'un litige opposant un destinataire français à la société MSC domiciliée en Suisse, il a été jugé, d'une part que le recto du connaissement signé par le destinataire témoigne de sa connaissance de la clause désignant la loi anglaise et la compétence de la High Court of Justice de Londres, d'autant qu'il s'agit d'un usage largement connu et régulièrement observé dans le transport maritime, et d'autre part que, au regard de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 applicable en l'espèce, la prorogation est opposable au destinataire qui, en droit anglais, succède au chargeur.


Désormais, l'analyse de la clause et de son opposabilité doit donc être précédée de la recherche du droit national applicable pour savoir si le destinataire succède au chargeur.


Cas d'inopposabilité au destinataire :

  • la loi allemande – applicable au litige – ne prévoyant pas que le destinataire non désigné au connaissement succède au chargeur, la clause lui est inopposable.

  • le droit français, applicable au litige, ne répute pas le destinataire comme succédant aux droits et actions du chargeur pour conclure que la clause attributive de juridiction ne lui est donc pas opposable, son consentement ne se présumant pas.


En revanche, une clause a été jugée opposable dans les cas suivants :

  • à propos d'un transport international de crevettes congelées, le connaissement à ordre laissé en blanc prévoyait une clause attributive de compétence à une juridiction anglaise. La recherche du droit national applicable menant à la loi anglaise, selon laquelle la transmission du connaissement à un tiers implique la dévolution de tous les droits et obligations du chargeur, la stipulation était opposable au destinataire réel ;

  • « attendu que l'arrêt retient que la clause litigieuse stipule expressément que le droit applicable au contrat de transport est le droit anglais et que, selon celui-ci, dont la teneur est établie par un affidavit, le destinataire, tiers porteur du connaissement, succède, en l'acquérant, au chargeur dans ses droits et obligations » ;

  • saisie d'un litige relatif au commerce de fruits (avocats chargés au Kenya par un transporteur belge et déchargés à Marseille), la Cour a jugé – après avoir relevé que peu importait la loi applicable en discussion (belge ou française), le destinataire ne succédant au chargeur dans aucun des deux droits – que le destinataire avait connaissance ou était censé avoir eu connaissance d'une clause conforme à l'usage qui attribuait compétence aux juridictions du pays, la Belgique, où le transporteur avait son siège ;

  • lorsque la banque (suisse) émettrice d'un crédit documentaire figure au connaissement en tant que destinataire ; devenant partie au contrat de transport, elle peut se voir opposer la clause attribuant compétence au tribunal du siège social du transporteur, stipulation conforme aux usages en la matière.

Il demeure bien des incertitudes, notamment dans le cas où le droit national applicable ne considère pas le destinataire (par hypothèse, non désigné au connaissement) comme l'ayant-cause du chargeur.


le cas particulier de l'affréteur succédant au droit du destinataire


Situation particulière où les assureurs subrogés tenaient leurs droits d'un affréteur pris en qualité de cessionnaire du destinataire.

Deux décisions opposées ont été prises par des chambres différentes de la Cour de cassation française :

  • « l'affrètement n'était pas en cause en l'espèce » puisque la société ayant transmis le droit d'action l'avait fait en qualité de cessionnaire et non d'affréteur au voyage. En conséquence, « la clause compromissoire qui figure sur la charte-partie n'avait pas à s'appliquer ».

  • Autre affaire : le recours contre le transporteur ne pouvait s'exercer que « dans le cadre de la charte-partie initialement convenue », car, bien que cessionnaire, la société en cause « ne pouvait ignorer les termes » de ladite charte. Dès lors, « la clause compromissoire, transmise par l'effet de la subrogation au pool d'assureurs, était applicable »,« seul le tiers porteur du connaissement [aurait pu] se prévaloir de l'inopposabilité des exceptions ».


Opposabilité aux tiers en cas de pluralité de défendeurs : la compétence dérivée


le bénéficiaire d'une clause de compétence est attrait devant une autre juridiction



En vertu du CPC, le demandeur peut assigner les défendeurs devant la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux et ce en dépit d'une clause attribuant, au profit de certains d'entre eux, compétence à une juridiction étrangère.

De même, le règlement communautaire permet à tout demandeur d'attraire devant le tribunal saisi de la demande principale contre l'un des défendeurs, un autre défendeur.

On retrouve toutefois la condition indiquée ci-dessus, à savoir l'exigence de l'indivisibilité entre les différentes demandes.

La jurisprudence en a ainsi décidé lorsque l'action en responsabilité contre le transporteur devant le juge élu et contre un tiers qui n'est pas lié par cette clause : un assureur ; un acconier ; un transporteur terrestre dans le cadre d'un transport multimodal ; un commissionnaire de transport.


S'agissant de la clause compromissoire, elle ne « saurait être écartée aux motifs d'une pluralité de défendeurs et d'une prétendue indivisibilité du litige, à supposer celle-ci démontrée ».


le bénéficiaire d'une clause de compétence est appelé en garantie devant une autre juridiction


Opposabilité de la clause attributive de juridiction pour le tiers mis en cause.

En présence d'une clause du connaissement attribuant compétence au tribunal de Casablanca, le commissionnaire de transport ne peut appeler en garantie le transporteur maritime (qui se prévaut de cette disposition) dans l'instance l'opposant en France à son client.

Idem pour une affaire où les demandes n'étaient pas indivisibles.


En l'absence de traité, la compétence des tribunaux français est régie par les règles internes (CPC, art. 333, interdisant au tiers de se prévaloir d'une clause attributive de juridiction). Tel est le cas de la France et du Venezuela où le réceptionnaire, tiers au contrat, est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire sans pouvoir décliner sa compétence, à moins d'établir qu'elle ne garantisse pas un procès équitable (CA Paris, 27 mai 2014, no 13/19685, Bolivariana de Puertos c/ CMA CGM, moyen inopérant en l'espèce).


Même solution que précédemment pour la clause compromissoire, qui fait échec à l'appel en garantie.

C'est ainsi qu'un tribunal a jugé de l'affaire principale relevant du contrat de transport et décliné sa compétence sur un appel en garantie concernant le contrat d'affrètement régi par une procédure d'arbitrage.

A rebours de ce principe et en présence d'une clause compromissoire stipulée par un transporteur dans le contrat conclu avec un commissionnaire, inopposable au chargeur qui avait assigné les deux intervenants, une cour d'appel s'est récemment reconnue compétente pour statuer sur l'ensemble des demandes en application du règlement communautaire (Versailles, 2016).



La clause intégrée à une lettre de garantie

Dans le commerce maritime, le plus souvent ensuite d'avaries aux marchandises en cours de voyage et pour des créances suffisamment importantes, les intérêts « cargaison » peuvent solliciter des autorités judiciaires le droit de saisir le navire du transporteur tenu pour responsable. Ce dernier, afin d'obtenir la mainlevée, demande le plus souvent à son assureur de responsabilité civile (P & I Club) ou à un organisme bancaire de délivrer une lettre dite « de garantie » ou un cautionnement (selon les termes de l'ordonnance autorisant la saisie). Ces documents contiennent l'engagement d'indemniser les dommages sur présentation soit d'un accord amiable entre les parties, soit d'une décision de justice, la juridiction apte à trancher le fond du litige étant alors habituellement désignée. Si une clause attributive de compétence figure également au connaissement, la question se pose de savoir quelle disposition prévaut. Dans ce type de situation, l'opposabilité de la clause de compétence figurant dans la lettre de garantie a généralement été retenue. La lettre de garantie résulte en effet des négociations entre les assureurs facultés, créanciers saisissants et le P&I Club de l'armateur ou plus rarement un établissement financier. La lettre de garantie contient souvent une clause prévoyant que l'indemnité éventuellement due par le P&I Club aux assureurs facultés dépendra d'une sentence arbitrale à venir rendue par telle ou telle chambre. Tout tourne en fait autour de la notion de consentement : de la certitude que l'armateur a bien donné son accord pour soumettre le litige à une nouvelle juridiction. Observons que, même si le Club est en première ligne, ainsi que l'a fait remarquer le tribunal de commerce de Marseille, « il n'est pas concevable [que le P & I Club agisse] de son propre chef sans en référer à son mandant ». C'est donc bien l'armement qui « fait novation de la clause attributive » Dans le sens de l'opposabilité :

  • CA Rouen, 2002 : le P&I Club avait reçu « instruction irrévocable des propriétaires et/ou armateurs du navire d'accepter de soumettre le litige au tribunal de commerce de Rouen » et le transporteur ne contestait pas avoir donné cet ordre.

  • CA Paris, 2003 : les assureurs facultés avaient reçu une lettre de garantie subordonnant un paiement entre autres à « une décision du tribunal de commerce de Paris ou de la Cour, juridictions expressément reconnues par les armateurs (...) ». Forts de ce libellé, ils assignèrent dans la capitale française. Le transporteur, quant à lui, invoquait une clause d'arbitrage à Londres visée au recto des connaissements. La cour d'appel a fait le lien entre l'acte de garantie et la mainlevée de la saisie, soulignant que la lettre avait été délivrée dans l'intérêt et sur instruction de l'armement (son absence de signature important peu). Au surplus, selon les juges, le transporteur avait renoncé en toute connaissance de cause à sa clause d'arbitrage. Enfin, il ne pouvait soutenir que la garantie lui avait été extorquée, la perspective d'une immobilisation prolongée du navire ne pouvant constituer un acte de violence morale alors que la saisie était effectuée sur autorisation de justice et pour un juste motif.

  • CA Paris, 2004 : lettre de garantie d'un P&I Club émise « dans l'intérêt et forcément sur instruction » de l'armateur, les juges soulignant la « volonté spéciale bien déterminée de confier désormais le litige à la seule juridiction française ».

  • CAMP, 2005 et 2007 : les arbitres ont validé la clause compromissoire figurant dans une lettre de garantie, le P & I Club ayant été mandaté par l'armateur pour en accepter les termes. Ils ont en outre estimé que cette acceptation s'inscrivait « dans le cadre d'une voie de droit qui [n'avait] pas conduit à obtenir une transaction manifestement déséquilibrée ».

  • Idem pour Ch. arb. Paris, 1er mars 2007, no 1137, et Ch. arb. Paris, 31 juill. 2006, no 1131. Contra :

  • Cass. Com, 2002 : sens contraire des décisions rapportées ci-dessus. Mais elle a jugé ainsi car rien n'indiquait, en l'espèce, que le transporteur avait accepté la prorogation. En outre le P & I Club avait, semble-t-il, agi sur les seules instructions de l'armateur et non de l'affréteur transporteur.


Les avantages et inconvénients respectifs des clauses de compétence judiciaire et d'arbitrage


Les clauses d'arbitrage sont rares dans les connaissements de ligne. Elles sont, en revanche, de plus en plus fréquentes dans les connaissements de charte-partie, la plupart comportant une clause d'arbitrage renvoyant presque toujours à des arbitres londoniens.


Avantages de la clause d'arbitrage (ou compromissoire) :

  • Confidentialité : ces clauses étant souvent présentes dans des C/P avec des intérêts économiques en jeu très importants, il est souvent primordial pour les parties en présence de ménager au maximum le secret des affaires même en cas de litige avec leurs cocontractants.

  • Moins le cas des connaissements, plus facilement assimilables à des contrats d'adhésion aux termes du transporteur.

  • Principe d'autonomie de la clause compromissoire : celle-ci survit à la nullité du contrat et permet de faire juger de cette nullité par la cour d'arbitrage désignée à la clause

  • Pluralité de défendeurs : l'opposabilité de la clause d'arbitrage est quasi-systématique, permettant à celui qui s'en prévaut d'éviter de se faire attraire devant une juridiction qu'il n'a pas souhaité.

  • En fonction de la cour d'arbitrage retenue, plus favorables aux intérêts des transporteurs (LMAA,…) ou de la cargaison (CAMP)


Avantages de la clause attributive de juridiction :

  • Coûts des procédures normalement plus limité devant les juridictions nationales, car les arbitres sont rémunérés par les parties (ce qui n'est pas – encore – le cas des juges) ;

  • Sécurité juridique : il est souvent plus facile d'avoir accès à la jurisprudence de la juridiction saisie que des cours d'arbitrage, qui ne publient pas nécessairement l'ensemble de leurs décisions pour des questions de confidentialité ;

  • Idem que pour la clause d'arbitrage : juridictions anglaises souvent plus favorables aux armateurs, juridictions des Etats de chargeurs plus favorables aux intérêts cargaison. Question de l'anti-suit injonction (CAJ et clauses compromissoires) : procédure qui a pour objet d'interdire à une partie à une instance se déroulant en Angleterre (ou autre pays du Commonwealth) de mener parallèlement une procédure dans un autre pays sous peine de sanctions pénales pouvant aller d'une condamnation à des dommages et intérêts jusqu'à l'emprisonnement. Interdite dans le cadre communautaire par la CJUE, lasortie du Royaume-Uni de l'UE aura peut-être pour conséquence de la réactiver, les juges anglais en étant par ailleurs très friands...




 
 
 

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