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La pollution des navires de croisière - intervention au colloque 2019 de la Juriscup

  • cabinet902
  • 6 janv. 2022
  • 15 min de lecture

Dernière mise à jour : 17 janv. 2022


Le 12 septembre 2019 s'est tenu le colloque de la 29e édition de la Juris'Cup, consacré cette année-là à l'environnement et au monde maritime et auquel j'ai été invité à participer en compagnie de ma consoeur Pauline Gondet.


Je vous retranscris ci-dessous le contenu de notre intervention consacrée à la pollution émise par les navires de croisière, sujet central pour les marseillais - et au-delà pour tous les habitants de ces escales...



INTRODUCTION



Marseille, destination montante des croisiéristes en Méditerranée



Le secteur de la croisière est en pleine croissance depuis les années 1980 – en moyenne 5 % par an. La Méditerranée représente 16 % de l’activité de ce secteur.


Marseille se situe aujourd’hui en quatrième position méditerranéenne sur le marché de la croisière, avec 1,486 million de passagers en 2017 et 1,75 million en 2018.

Chaque jour, entre 1 et 6 paquebots font escale à Marseille, avec des retombées économiques de 310 millions d’euros en 2016 (données CCI Marseille-Provence).


Enfin, la montée en puissance de la croisière à Marseille a permis une relance de la réparation navale, avec notamment la réouverture de la plus grande cale sèche d’Europe.



Le rejet du dioxyde de soufre et son impact sur la santé et l’environnement


Faire une croisière et mourir”

Les études, si elles divergent parfois, restent dans l’ensemble alarmistes. Pour la Nature and Biodiversity Conservation Union, un paquebot de croisière transportant en moyenne 3000 passagers pollue plus que 12000 voitures.

Une enquête de la chaîne britannique Channel 4 va plus loin et conclut, à partir de la qualité de l’air présente à bord d’un tel navire, que cette embarcation engendrerait autant de particules fines que 1 million de voitures, comparable à la pollution de New Delhi ou Shanghai.


Des mesures de particules ultrafines entre 2015 et 2017 ont établi des concentrations de 300.000 particules par cm³ au terminal maritime de la Joliette (Mediapart, 23 avril 2018) !

Le fioul lourd, utilisé dans les navires car 30 % moins cher que le carburant des voitures, contient 3500 fois plus de soufre.

De manière générale, le transport maritime est aujourd’hui responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre, proportion qui pourrait passer à 17 % en 2050 au rythme actuel.

Les 200 plus gros navires produisent aujourd’hui autant de dioxyde de soufre que l’ensemble des automobiles en circulation dans le monde (étude dirigée en 2018 par le professeur James Corbett - Université du Delaware).


Un impact sur la santé :

Le SO2 perturbe le système respiratoire. A titre d’exemple, le grand smog de Londres de 1952 causa la mort de 12.000 Britanniques. Les NOx et particules fines/ultrafines également rejetées entraînent affections pulmonaires, cancers, maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les populations les plus fragiles (enfants, personnes âgées) ou les plus exposées (équipages, habitants des villes portuaires) sont d’autant plus affectées, pour des pathologies apparaissant 20-30 ans après l’exposition. La pollution maritime serait à l’origine d’environ 14 millions de cas d’asthme infantile et de 400 000 décès prématurés par an à la suite de cancers du poumon ou de maladie cardiovasculaires, soit plus de 1000 morts par jour (même s’il existe des chiffres plus bas sur le sujet) (étude du Pr. Corbett citée supra).

Un impact sur l’environnement :


Les efforts des acteurs portuaires pour réduire la pollution des navires de croisière


Dans une dizaine de ports dans le monde, dont Marseille, sont mises en place des bornes électriques afin de stopper les moteurs des navires amarrés, et la flotte des compagnies est progressivement adaptée pour pouvoir brancher les navires. Le port de Marseille ambitionne ainsi d’ici 2025 de pouvoir équiper de connexions au réseau électrique l'ensemble des quais dédiés aux navires de passagers.



Les navires sont également encouragés à mettre en place des scrubbers, systèmes de pulvérisation d’eau de mer dans les cheminées des navires. Cependant, même s’ils éliminent 98% des SOx, ils ont peu d’effet sur les NOx, à l’origine de la pollution par l’ozone, ni sur les particules fines/extra-fines. En outre le soufre vaporisé est souvent rejeté dans la mer, contribuant à l’acidification des océans.


A l’issue de douze années de travail, l’OMI est parvenue à un accord limitant la concentration en soufre du fioul maritime à 0.5% dès 2020 contre 3,5% précédemment (sauf dans certaines zones et pour certains navires où la concentration est déjà limitée à 1,5% et 0,1%). Il s’agit de la réglementation environnementale la plus contraignante depuis des décennie et qui, d’après les analystes de S&P Global Platts, pourrait coûter 1000 milliards de dollars en cinq ans à l’économie mondiale.


Pour la première fois en France, la condamnation pénale d’une compagnie et de son capitaine pour pollution au dioxyde de soufre


Les navires de croisière polluent nettement moins que les navires de transport de marchandises, du fait d’une flotte plus récente (scrubbers, mise en place progressive de propulsion au GNL). Les croisiéristes sont en revanche susceptibles d’être plus sensibles à des pressions politiques et sociales ; en outre les bénéfices qu’ils génèrent devraient leur permettre d’investir plus largement dans des technologies et carburants plus propres, et jouer ainsi un rôle moteur sur l’industrie maritime en général.


Le navire AZURA, alors qu'il se trouvait en escale dans le port de Marseille, a fait l'objet de la part des services du centre de sécurité des navires d'un contrôle du combustible utilisé par le navire dans les eaux territoriales françaises.

Au cours de ce contrôle, il était constaté que le combustible utilisé avait été chargé à Barcelone et que le bon de soutage indiquait une teneur en soufre de 1, 75 %. Il était également constaté que le navire, à quai, utilisait le même combustible, mais avait enclenché un système de nettoyage des gaz d'échappement qui avait permis une qualité des rejets atmosphériques conforme aux exigences légales.

Toutefois, dans la mesure où ce système avait été déclenché sans autorisation de la capitainerie, il était décidé de procéder à une prise de l'échantillon MARPOL du combustible chargé à Barcelone, dont l'analyse révélait un peu plus tard une teneur en soufre de 1,68 %. Un procès-verbal de constatation d'infraction a été dressé, et des poursuites engagées contre le capitaine du navire.


Par une décision en date du 26 novembre 2018 de la juridiction du littoral du tribunal correctionnel de Marseille, le capitaine du navire s’est vu condamner à payer une amende d’un montant de 100.000 euros (sur le fondement de l’article L. 218-15 du Code de l’environnement) ; l’armateur est condamné à le relever de la majeure partie de cette amende, à hauteur de 80.000 euros.


Les prémices du dispositif normatif : la Convention MARPOL et son annexe VI



C’est à partir des années 1980 que les premières préoccupations quant à la pollution atmosphérique ont émergé au sein de l’OMI, donnant lieu le 26 septembre 1997 à une nouvelle annexe IV à la Convention MARPOL relative à la prévention de la pollution de l’atmosphère par les navires.


L’OMI est traditionnellement plus attachée au développement du transport international qu’à la protection de l’environnement. Ainsi, bien que le Protocole de Kyoto lui a confié la tâche de définir des mesures de réduction des gaz à effet de serre dans le domaine du transport maritime, il n'a pas encore été suivi d'effet. En outre, l’accord de Paris de 2015 suite à la COP 21 exclut le transport maritime de son champ d’application.

Ce blocage est dû principalement au poids disproportionné des pavillons de complaisance au sein de l’OMI. Ainsi le Panama, le Libéria, les Îles Marshall, Malte et les Bahamas détiennent la moitié de la flotte mondiale et exercent en conséquence une influence décisive dans son financement ainsi que dans la ratification des conventions internationales adoptées en son sein (Transparency International, Governance at the International Maritime Organisation. The case for reform, Berlin, 2018, p. 3).

L’annexe VI de la Convention MARPOL est entrée en vigueur le 15 octobre 2005. Fixant les limites aux émissions d’oxyde de soufre et d’oxyde d’azote provenant des gaz des navires, elle a permis d’établir les premières zones de contrôle des émissions de SOx et NOx, sous l’acronyme ECA (Emissions Control Areas).


Elles concernent pour le moment quatre zones :

- Amérique du Nord (E.-U. Et Canada) et Caraïbes (Porto-Rico, Iles Vierges américaines) pour le Sox, NOx et particules fines (SECA et NECA) ;

- Mer Baltique et Mer du Nord pour le dioxyde de soufre (SECA) – bientôt NECA, la demande a été présentée à l’OMI.


Dans ces zones, le taux de soufre toléré dans les carburants marins est de 0,1 % depuis

2015.


L’OMI prévoit une limitation de la teneur en soufre des carburants de tous les navires à 0.5 % en 2020 (ce qui reste un taux 500 fois supérieur à celui autorisé pour l’automobile)


Bien que la mise en place d’une zone SECA en Manche, Mer du Nord et Mer Baltique limite la teneur en soufre à 0,1 % dans ces zones, en Méditerranée le taux demeure limité à 1,5 % pour les ferries et paquebots, 3,5 % pour les tankers et porte-conteneurs. Cette situation entraîne une inégalité de traitement difficilement justifiable entre les habitants du Havre et de Marseille.


Le droit communautaire : la promotion d’une réglementation environnementale plus ambitieuse


La flotte des Etats de l’UE, qui représente plus de 40 % de la flotte mondiale, permet à l’Union d’exercer une véritable influence sur l’OMI. Elle exerce notamment un rôle de laboratoire d’expérimentation juridique et pousse ainsi l’OMI à adopter des mesures plus ambitieuses pour conserver son leadership.


C’est ainsi qu’en matière de sécurité maritime ont été adoptés trois paquets législatifs Erika I, II et III entre 2000 et 2010. Sur le plan plus large de la politique maritime de l’environnement, une stratégie européenne a été mise en œuvre entre 2009 et 2018 visant notamment à réduire les émissions d’oxyde de soufre (SOx) et d’oxyde d’azote (NOx) des navires.


Outre la mise en place d’un système de surveillance fondé sur un mécanisme de déclaration et de vérification des navires (règlement MRV du 29 avril 2015), qui a été transposé à l’échelle mondiale par l’OMI, cette dernière s’est également engagée à réduire d’au moins 50 % les gaz à effet de serre d’ici à 2050 dans le sillage de l’UE.


En matière de rejet d’oxyde de soufre également, l’UE avait été précurseur concernant le Nord de l’Europe puisqu’elle avait limité l’émission de soufre à 0,1 % dès 2012 (directive n° 2012/33).


La Méditerranée semble pourtant à ce jour toujours exclue de ce mécanisme, malgré un lobbying intense à Bruxelles. Les taux admis sont moins régulés et peuvent atteindre 3,5%.

Cependant et à titre de palliatif, à compter du 1e janvier 2020 la teneur en soufre des navires naviguant dans les eaux territoriales de l’ensemble des Etats-membres sera limitée à 0,5 %. De même, tout navire demeurant plus de deux heures à quai doit utiliser un combustible soufré de moins de 0,1 %.


Zone

Type de navire

Limitation du taux de soufre du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2019

Limitation du taux de soufre à compter du 1er janvier 2020

En dehors des zones de contrôle :

Tout type de navire sauf exception

3,5%

0,5%

En dehors des zones de contrôle :

Navires de passagers assurant des services réguliers à destination ou en provenance de ports de l’Union

1,5%

0,5%

Dans les zones de contrôle des émissions de Sox (SECA)

Tout type de navire​

0,10%

0,10%

A quai

Tout type de navire

0,10%

​0,10%


La directive européenne 2008/99 du 19 novembre 2008 oblige les Etats à adopter des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des atteintes à l’environnement (art. 3). Ce n’est pourtant pas nécessairement suivi à l’échelle national – cf. la généralisation de la transaction pénale ou les sanctions inégales prévues en matière d’infraction à la teneur en soufre des carburants marins (1 an d’emprisonnement et 200.000 euros d’amende en France, 800 euros en Pologne ou dans les Pays baltes).


L’intégration difficile des normes en droit interne : l’exemple du jugement rendue dans l’Azura



Plusieurs difficultés apparaissent à la lecture du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Marseille le 26 novembre 2018.


En premier lieu, une QPC a été soulevée à l’encontre de l’article L218-15 du code de l’environnement sur lequel étaient fondées les sanctions réclamées à l’encontre de l’armement et du capitaine, pour non-respect du principe de légalité et de non-discrimination.


En effet, le texte, qui prévoyait la sanction correspondante au délit prévu par l’article L218-2 du même code, avait été pris par voie d’ordonnance en application de la procédure prévue à l’article 38 de la Constitution. Or bien qu’il avait fait l’objet d’un projet de loi de ratification, la ratification n’était pas intervenue, si bien que le texte incriminateur n’avait pas valeur législative et contrevenait ainsi au principe de légalité des délits et des peines.

Le contrôle de légalité a été refusé par le tribunal, celui-ci considérant que le contenu d’une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution avait valeur de loi et ne pouvait faire l’objet d’un tel contrôle - ce qui semble logique.


Mais par la suite, statuant sur le fond, le tribunal a retenu la légalité du texte incriminateur en des termes qui paraissent contredire le raisonnement qu’elle avait adopté en réponse à la QPC: “si cette ordonnance reste sur le plan formel un acte administratif, son contenu (...) a valeur de loi et il n’y a absolument pas lieu de mettre en cause sa légalité”.



En deuxième lieu, les navires à passagers assurant des services réguliers étaient soumis au moment des faits à un taux de soufre de 1,5 % (article L218-2 du code de l’environnement).


Le navire Azura devait-il s’y conformer ?


Le terme “services réguliers” porte à confusion : il est en effet défini par la directive 1999/32/CE comme « une série de traversées effectuées par un navire à passagers de manière à assurer un trafic entre les mêmes ports, ou une série de voyages à destination et en provenance du même port sans escale, suivant un horaire publié ou avec une régularité ou une fréquence assimilable à un horaire » (article 2, point 3 octis). Cela semble a priori exclure les navires de croisière.


Cependant, la CJUE, dans une question préjudicielle posée par le Tribunal de Gênes en 2014, a estimé qu’un navire de croisière relevait du “service régulier”«à condition qu’il effectue des croisières, avec ou sans escales, s'achevant dans le port de départ ou dans un autre port, pour autant que ces croisières sont organisées à une fréquence déterminée, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d'arrivée précises, les intéressés pouvant librement choisir entre les différentes croisières offertes ».


Que fallait-il entendre par “fréquence déterminée”? ou par “croisière”? Le texte supposait-il que le navire effectue toujours la même croisière? Devait-on prendre en compte les croisières réalisées hors UE pour déterminer la fréquence?


A l’évidence, cette définition du “service régulier” proposée par la CJUE visait en réalité à englober dans des termes “fourre-tout” n’importe quel type de croisière. Elle n’a cependant pas permis d’éviter des interprétations divergentes d’un Etat-membre à l’autre.



Ainsi, alors que l’Italie suite à la décision de la CJUE, décidait d’appliquer la règle de 1,5% à tous les navires de croisière, l’Espagne, par une circulaire du 16 octobre 2017, proposait une interprétation bien plus restrictive du navire exploité en “service régulier” puisque cette notion ne viserait que le navire “faisant escale dans le même port, au moins cinq semaines à la suite, avec le même itinéraire, avec des dates et heures de départ et d’arrivée les mêmes jours de la même semaine, à partir ou vers un port européen, selon des horaires publiés”.


Le législateur français s’étant quant à lui bien gardé de proposer une définition de cette notion, le débat reste ouvert. A ce stade, le TGI a repris la position de la CJUE.

Sans doute la décision qui sera rendue en appel permettra-t-elle d’affiner ces différents points.


La responsabilité du capitaine, symptôme d’un certain anachronisme des réglementations actuelles



Un régime de responsabilité particulièrement lourd


Alors que le débat visant à déterminer à qui revient la responsabilité de faire le ménage dans l’ensemble du transport maritime mondial est ouvert depuis longtemps (revient-elle aux compagnies pétrolières qui produisent le fioul, aux armateurs qui le brûlent à bord de leurs navires, aux vendeurs des produits transportés par ces navires, ou aux acheteurs de ces marchandises/services de croisière?) le législateur a de son côté adopté une position beaucoup moins nuancée, désignant un seul et même responsable quel que soit le contexte de la pollution générée par le navire: le capitaine.


En effet, l’article L218-11 du Code de l'environnement punit de 50.000€ d’amende (100.000€ et un an de prison en cas de récidive) tout capitaine se rendant coupable de rejet de substance polluante en infraction à la Convention MARPOL.


Ces peines sont portées à 10 ans de prison et 15 millions d’euros par les articles L218-12 et L218-13 du code de l’environnement pour les capitaines des navires-citernes, de tous les navires dont la jauge brute est inférieure à 400 tonneaux mais dont la puissance motrice dépasse les 150 Kw, ainsi que de tous les navires dont la jauge brute dépasse les 400 tonneaux.


L’article L218-14 punit quant à lui de 7 ans de prison et de 1 million d’Euros d’amende, le fait pour tout capitaine de rejeter à la mer des substances nuisibles transportées en colis en infraction à la convention MARPOL.


Et ainsi de suite.


Autrement dit, les articles L218-10 et suivants du code de l’environnement désignent comme principal coupable, le « capitaine » ou « le responsable à bord d’un navire », comme si ces derniers détenaient à eux-seuls les pouvoirs de décider de la nature du fioul à utiliser au gré des navigations. Et les sanctions prévues sont particulièrement sévères.


De surcroît, la plupart des juges, en matière de pollutions maritimes, ne prennent plus la peine de rechercher si l’élément intentionnel peut être caractérisé ou pas, et ont instauré “une forme de présomption de l’élément intentionnel, souvent expressément désignée comme telle, à partir de la seule consommation de l’élément matériel, dès lors que le capitaine était incapable de démontrer un événement extérieur à sa volonté” (Jcl. Fasc. 1148: Pollution maritime par Hydrocarbures - Responsabilité pénale - Henri R.Najjar).


La jurisprudence a notamment retenu qu’en “l’absence de tous éléments permettant de relier la pollution constatée à la survenance d’un événement extérieur et imprévisible (...),la pollution provenant du rejet d’hydrocarbures (...) était d’origine volontaire” (Cass. Crim. 18 mars 2014 n°13-81921).


Il s’agit là de la reprise du traditionnel principe selon lequel le capitaine serait « seul maître à bord après Dieu », pourtant de plus en plus éloigné des évolutions du monde maritime.

Un régime de responsabilité déconnecté des réalités


Or la réalité est toute autre, en particulier dans le milieu de la croisière où les pouvoirs des capitaines de paquebots ne sont pas aussi « illimités » que cette théorie le laisse entendre, et s’éloignent ainsi de ceux du chef d’entreprise par exemple.


Désormais, l’armement interfère dans l’exercice effectif des prérogatives habituelles du capitaine: “l’évolution des textes n’a pas juridiquement amoindri l’autorité du capitaine ni sa marge de manoeuvre quant à la conduite nautique et aux choix relatifs à la sécurité et à la sûreté du navire. Cependant, la fixation d’objectifs commerciaux (créneaux pour arriver au port, soutage minimal imposant une vitesse de navigation et une route déterminée) par les armements et leur faculté à communiquer avec le bord conduisent de facto à exercer une pression sur les capitaines dans ces matières” (Rapport du Groupe de travail du CSMM du 26 mars 2018 – La responsabilité pénale du capitaine de navire).



Un paquebot de croisière est généralement utilisé dans différentes mers du globe - par exemple en Méditerranée pendant la belle saison, puis dans les Caraïbes en hiver. Si les compagnies s’efforcent de respecter scrupuleusement les règles environnementales qui s’appliquent aux ports dans lesquels leurs navires font escale, cette lourde tâche ne relève jamais du capitaine.


C’est la plupart du temps au siège (et non à bord) que sont déterminés à l’avance le lieu où le navire devra s’approvisionner en fioul et le type de fioul qu’il devra consommer. La compagnie intervient désormais largement dans la conduite des navires. L’équipage se contente de son côté d’indiquer aux équipes à terre les quantités de fioul restant à bord, et cette tâche elle-même ne relève pas du capitaine mais du chef mécanicien. Le capitaine s’apparente à certains égards à un simple exécutant.


Comme le souligne le Conseil Supérieur de la Marine Marchande, « la perte progressive des prérogatives traditionnelles du capitaine de navire, constatée de longue date, s’accompagnerait paradoxalement, d’une aggravation accélérée du risque pénal attaché à l’exercice de ses fonctions » (rapp. préc. du 26 mars 2018).


Le CSMM dénonce ainsi le malaise qui règne chez les marins, lié « à la crainte que suscite la sévérité des peines applicables en matière d’infractions à l’environnement, mais aussi à la profusion des règles et à la modification rapide des textes dans de multiples domaines, ce qui ne leur permet pas d’en appréhender l’exacte portée ou de s’en approprier le contenu » (rapp. préc. du 26 mars 2018).


Comme il le résume dans ses pistes de réflexion, “aujourd’hui, le Capitaine est un exécutant travaillant à distance. Il n’a ni la confiance de l’armateur, ni l’autonomie, ni le pouvoir gestionnaire d’antan. Son pouvoir décisionnel se réduit à certains aspects de la conduire du navire dans les cadres strictes imposées par la compagnie. Le navire, le Capitaine et l’équipage sont de plus en plus dirigés et contrôlés par la compagnie grâce à un ensemble d’outils technologiques (technologies de l’information) et organisationnels (Code ISM, ISO, autres). Dans le monde maritime actuel, le Capitaine assume un ensemble de choix et décisions qui sont prises par d’autres. Il conserve la responsabilité mais il n’a plus qu’un pouvoir fortement réduit. Et ceux qui possèdent le pouvoir n’assument pas la responsabilité”. En particulier, “les lieux, quantités, fréquences et types de ravitaillement sont déterminés par la compagnie en fonction de critères économiques et logistiques (...). N’ayant aucune autonomie budgétaire, le capitaine ne peut que se plier à ces choix (...). Autrefois prérogative quasi-exclusive du capitaine, le choix des routes, des vitesses et de la navigation passe de plus en plus dans les mains de la compagnie” (rapp. préc. du 26 mars 2018).


Il appelle ainsi le législateur en particulier à harmoniser dans les textes, les dispositions posant le principe du partage de responsabilité entre le capitaine, l’armateur et d’autres intervenants en cas d’infraction, à clarifier la rédaction des articles d’incrimination pénale du capitaine, limiter le champ de la mise en jeu de la responsabilité pénale du capitaine aux seules infractions expressément prévues par la loi, mais aussi à aligner les textes existants sur le droit commun de la responsabilité civile en affirmant la qualité de préposé du capitaine et à assurer une information fiable voire une formation des officiers quant aux règlementations qui leur sont applicable.


Autant de signaux qui confirment que le capitaine d’un paquebot de croisière naviguant dans différentes eaux du globe et faisant escale dans une multitude de pays se trouve dans l’incapacité technique et matérielle de maîtriser l’intégralité des normes auxquelles il est soumis, y compris des normes environnementales.


Un respect des normes en pratique complexe


La tâche est d’autant plus difficile que le législateur a omis de vérifier la faisabilité de ces nouvelles exigences. Or en pratique, le fuel à taux réduit de soufre (1,5% et moins) est loin d’être disponible partout.


C’est ainsi que s’efforçant de rectifier le tir, la Directive 2016/802 du 11 mai 2016 préconise aux Etats-membres d’assurer la disponibilité des combustibles marins à taux de soufre réduit qu’elle impose (article 6.7) et leur impose de tenir un registre public des fournisseurs locaux de combustibles marin (article 6.9.a)). Surtout, son article 6.8 invite les Etats-membres à faire preuve de clémence lorsque le contrevenant à la législation sur les combustibles marins est en mesure de prouver “qu’il a cherché à acheter du combustible marin conforme à la présente directive compte tenu de son plan de voyage et que, si ce combustible n’était pas disponible à l’endroit prévu, il a essayé de trouver d’autres sources de combustible marin et que, malgré tous les efforts qu’il a faits pour se procurer du combustible marin conforme à la présente directive, il n’y en avait pas à acheter”.


A l’heure où les récentes technologies ont mis au point le premier porte-conteneurs sans pilote - le navire Yara Birkeland élaboré par les chantiers Kongsberg Gruppen - géré par une intelligence artificielle, et dont une mise en service progressive est prévue pour 2020/2022, la responsabilité du capitaine pourrait progressivement être davantage partagée avec le responsable du pilotage à terre. Une réflexion sur le sujet a été engagée par le CMI (Les navires sans équipage - Gaël Piette - DMF n°797 - 1er décembre 2017).


CONCLUSION



Si la nouvelle réglementation devrait permettre de limiter la pollution générée par les paquebots, elle n’est pas satisfaisante pour les raisons suivantes:

  • la désignation systématique du Capitaine en tant que principal responsable en cas de pollution n’est pas opportune ;

  • des spécialistes de la santé signalent déjà que les nouvelles réglementations ne vont pas assez loin car l’utilisation d’un fioul moins soufré générera davantage de petites particules aux effets néfastes sur notre santé;

  • l’eau rejetée par les scrubbers dans les océans pourrait elle aussi s’avérer polluante - certains ports, comme ceux de Singapour ou des Emirats arabes unis, ont d’ailleurs déjà interdit ce type de système d’épuration;

  • même avec l’application des nouveaux taux de soufre, les émissions d’oxyde de soufre par les navires resteront bien plus importantes que celles des automobiles et pourraient constituer à long terme une crise sanitaire comparable à celle de l’amiante.

La mise en place de limitations de vitesse des navires, prochaine mesure pour réduire plus efficacement les émissions de CO2 des paquebots ?

 
 
 

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