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L'Etat condamné à garantir la tranquillité des riverains contre les survols d'hélicoptères

  • cabinet902
  • 18 janv. 2022
  • 8 min de lecture

Le 28 octobre 2021, le Tribunal administratif de Toulon a rendu une série de quatre jugements par lequel il condamne l’État, représenté par son préfet, à indemniser les associations Halte Hélico (membre de l'UFCNA) et ASSG (désormais La Sentinelle) pour les troubles causés par les sociétés de transport par hélicoptères aux riverains du Golfe de Saint-Tropez.


Cette décision s'inscrit pleinement dans un nouveau mouvement de prise en compte des citoyens face aux intérêts économiques de cette activité extrêmement polluante, et à la mansuétude incompréhensible dont ses acteurs bénéficient de la part des pouvoirs publics.



Un dispositif légal national insuffisant


Les hélicoptères exploités à des fins de transport commercial sont autorisés à se poser et décoller depuis trois types d’emplacements, définis dans un arrêté interministériel de 1995 : les aérodromes, les hélistations et les hélisurfaces.


Contrairement aux deux premiers types d’emplacements, qui obéissent à un régime d’autorisation préalable par la puissance publique (ministre ou préfet), l’hélisurface (situé sur un terrain privé et sans aménagement particulier) doit simplement être déclarée.


La seule limitation qui touche l’implantation d’une hélisurface est liée à son lieu d’implantation : elles sont en effet notamment interdites à l’intérieur de certaines agglomérations (visées par la carte aéronautique de l’OACI).

Mais cette limitation ne concerne pas des zones touristiques moins densément peuplées une partie de l’année, malgré le fait qu’elles accueillent une grande concentration de personnes d’avril à septembre.

En tout état de cause, ces hélisurfaces doivent se situer à une distance supérieure à 150 mètres d'une habitation ou d'un rassemblement de personnes.


Outre ces différences de régime assez incompréhensibles, l’arrêté n’autorise les mouvements (atterrissage ou décollage) vers ces hélisurfaces que s’il a un caractère « occasionnel ».


Or ce terme n’est jamais véritablement défini, sauf en ce qu’il limite le nombre de mouvements quotidiens à 20, et annuels à 200.

L’arrêté ne prévoyant par ailleurs aucun dispositif de contrôle de ces mouvements, ils sont en pratique bien souvent allègrement dépassés par les hélicoptéristes.

En définitive, l’arrêté interministériel de 1995 s’avère très insuffisant pour protéger les riverains de ces hélisurfaces des diverses nuisances qu’elles entraînent.


Le dispositif « légal » très particulier mis en place sur le Golfe de Saint Tropez par la préfecture du Var


Les communes de Saint-Tropez, Ramatuelle, Cogolin, Gassin et Grimaud se caractérisent par un raccordement particulier au réseau de transport : elles ne sont desservies ni par des transports ferroviaires, ni par une voie routière rapide.


Dès lors, les touristes fortunés qui souhaitent s’y rendre utilisent d’une part des yachts, d’autre part les transports aéronautiques – un aérodrome accueillant des avions étant implanté à La Mole, à proximité directe de ces communes.

Mais le moyen privilégié par une part non négligeable de ces visiteurs est l’hélicoptère, car il permet de venir rapidement depuis Cannes, Nice ou Monaco et de se poser à proximité immédiate de sa destination.

Cette utilisation massive des hélicoptères au cœur d’une une zone naturelle préservée (massif des Maures, corniche Varoise notamment) s’est particulièrement accrue ces vingt dernières années.

En conséquence, la préfecture du Var a mis en place à partir de 2009 une réglementation particulière pour la saison estivale – définie d’avril à fin septembre.

Ce système prévoyait la désignation d’un nombre limité d’hélisurfaces dites « responsables », seules autorisées à accueillir les hélicoptères des compagnies de transport privées et bénéficiant d’un nombre maximal plus important de mouvements journaliers ; les autres hélisurfaces étant limitées à deux mouvements quotidiens.

Principal écueil du dispositif mis en place : il ne prévoit aucun système de contrôle et de sanction réellement efficace, et les hélisurfaces vont allègrement dépasser les limitations annuelles de 200 mouvements prévues à l’arrêté de 1995.

La Gendarmerie du transport aérien, qui mobilise une patrouille de deux gendarmes circulant en voiture sur une superficie de 300 km², dresse en totalité dix amendes de 17 euros en 2017 et 52 en 2018.

Bien entendu, ce système supposément transitoire dans l’attente d’une solution durable (projet d’hélistation maritime, véritable serpent de mer) s’est pérennisé jusqu’à ce jour, avec son cortège de nuisances et de mécontentements.


Des nuisances considérables pour les riverains et pour l’environnement


Les nuisances observées sont en effet nombreuses et variées.


On relève ainsi, concernant les préjudices qu’elles causent aux riverains, des conséquences tant physiques que psychologiques.


En matière de nuisances sonores, on observe de manière générale des effets néfastes sur l’audition en cas de dépassement du seuil de 70 dB.

S’agissant du trafic aérien, l’OMS recommande un seuil diurne de 45 dB et nocturne de 40dB concernant les effets sanitaires observés pour les bruits « à forte composante évènementielle » - typiquement les transports aériens.

Au-delà, les effets néfastes observés sur la santé d’une exposition prolongée à des seuils élevés de bruit sont les suivants :

- risques auditifs,

- perturbations du sommeil, du système endocrinien, du système cardio-vasculaire, du système immunitaire, de la cognition (chez l’enfant),

- effets psychologiques néfastes.


L’anxiété induite par ces survols incessants va elle-même causer des troubles de la santé (risques cardiaques, psoriasis) ainsi que du sommeil.


Bien entendu, les incidences sur la sociabilité des riverains sont non négligeables, avec l’impossibilité de profiter de son jardin au cœur de l’été, ou l’impact évident sur les visites de personnes extérieures.

Enfin l’incidence est patrimoniale : la valeur immobilière des biens touchés par ces nuisances chute immanquablement, tout comme le bénéfice tiré des locations saisonnières.


Quant aux préjudices environnementaux, ils sont tout aussi importants et impactent tout autant les humains.


La pollution atmosphérique, première cause de mortalité en France, traîne son cortège de conséquences sur la santé humaine (maladies respiratoires, intoxication sanguine, effets néfastes sur les muqueuses…).

La pollution par les particules fines dégagées par les moteurs d’hélicoptères est ainsi directement liée à des complications cardio-vasculaires, des infarctus et des cancers du poumon.


Cette activité intense impacte également fortement les sites naturels protégés situés dans cette zone géographiques (sites Natura 2000, Zones naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique, Zones humides,Espaces Boisés classés) et les espèces protégées qui y vivent (tortue d'Hermann, canche de Provence, engoulevent d'Europe…).


Le changement de cap récent des tribunaux


Les décisions rendues en la matière étaient jusqu'à présent très favorables aux hélicoptéristes.


Ainsi, la Cour administrative d'appel de Marseille considère que le préfet ne saurait être tenu de prendre des décisions d’interdiction d’utilisation d’une hélisurface si elle cause des nuisances, et qu’il ne peut le faire qu’en considération « des faits imputés à un ou plusieurs pilotes ou utilisateurs » (arrêt nº 06MA00707, 12 novembre 2007).


De même, la Cour de cassation adopte une conception très restrictive des nuisances sonores en énonçant ( Civ. 3e, 13 nov. 2008, n° 07-19.771) :


« l'on ne pouvait déduire l'existence d'un trouble anormal de voisinage du seul fait que le niveau du bruit émis par un hélicoptère se situait à l'intérieur de l'une des courbes d'indice Lden fixées par l'article R. 142-2 du code de l'urbanisme pour la détermination des zones de bruit des aérodromes en vue de l'établissement d'un plan d'exposition au bruit, que l'affirmation selon laquelle il y avait eu 22 mouvements d'appareils le samedi 26 juillet 2003 n'était étayée par aucun élément et que la preuve que le nombre de mouvements journaliers d'hélicoptères dépassant la limite établie par le préfet du Var n'était pas rapportée »


La Cour d'appel d'Aix-en-Provence enfin, dans un arrêt qui nous intéresse particulièrement car il concerne le dispositif des hélisurfaces « responsables » de Saint-Tropez, juge (11 juin 2007, RG nº06/09125) :


« le nombre de mouvements journalier, fixé à 10 par l'arrêté du 24 juillet 2001 qui n'est pas produit mais dont l'existence n'est pas contestée, n'est pas de nature à entraîner pour René X... un trouble dépassant les inconvénients normaux du voisinage »


Mais les engagements internationaux pris par la France dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique (et notamment l’Accord de Paris de 2015) sont progressivement pris en compte par les juges nationaux :

- reconnaissance d’un préjudice écologique pur (arrêt Erika de 2012),

- condamnation de l’État pour dépassement substantiel du premier budget carbone qu'elle s'était engagée à respecter (CE, 19 nov. 2020, n° 427301, Cne Grande Synthe) ;

- condamnation de l’État pour carence à prendre les mesures propres à permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre (« L’affaire du siècle » - TA Paris, 3 février 2021).

Cette préoccupation nouvelle s’est également traduite dans des décisions relatives aux hélisurfaces, et notamment un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 16 mai 2019 (n°17/17184), qui condamne le propriétaire d’une hélisurface située à Ramatuelle et prévue dans le dispositif des hélisurfaces « responsables », sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.


Le jugement du 28 octobre 2021 : une condamnation de l’État pour carence dans ses pouvoirs de police


La série de jugements rendus par le Tribunal administratif de Toulon le 28 octobre 2021 s’inscrit pleinement dans cet élan.


En particulier les associations requérantes mettaient en cause la responsabilité de l’État pour carence dans ses pouvoirs de police : le préfet n’avait pas pris les mesures suffisantes pour garantir l’ordre public, et notamment la tranquillité et la sécurité des riverains.


Or la loi prévoit que le préfet est compétent pour interdire les hélisurfaces dans les lieux où leur utilisation est susceptible de porter atteinte à la tranquillité et à la sécurité publiques ou à la protection de l'environnement (article D. 132-6 du Code de l'aviation civile).


Dans le cas du Golfe de Saint-Tropez, l’activité des hélisurfaces porte atteinte tant à la tranquillité des habitants et à leur sécurité qu’à l’environnement.


Le Tribunal retient :


« il résulte de l’instruction que lorsque les quotas de mouvement fixés par un arrêté préfectoral réglementant les hélisurfaces dites « responsables » sont atteints, le préfet édicte un nouvel arrêté renouvelant les mêmes hélisurfaces ou désignant de nouvelles hélisurfaces situées à proximité immédiate avec de nouveaux quotas de mouvements quotidiens et annuels. Il en résulte un dépassement flagrant pour certaines hélisurfaces des valeurs maximales admises par l’article 6 de l’arrêté du 6 mai 1995, à savoir un nombre de mouvements annuel inférieur à 200 et le nombre de mouvements journalier inférieur à 20 par hélisurface.

Ainsi, les hélisurfaces dites « responsables » désignées sous le nom de « Pilon », « la Rouillères » et « Pin Maria » atteignent chaque année 1 320 mouvements annuels chacune, les hélisurfaces appelées « Château Pampelonne », « Kon Tiki » et « Karting » atteignent, quant à elles, 900 mouvements annuels chacune. Dès lors, l’action de l’Etat a eu, sinon pour objet du moins pour effet, d’aboutir à une méconnaissance de l’article 6 de l’arrêté du 6 mai 1995. Cette méconnaissance est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »


L’État n’a pas fait appel de ces jugements, qui ont par conséquent un caractère définitif.


Perspectives futures


La série de décisions rendues par le Tribunal administratif de Toulon constitue à n’en pas douter une nouvelle donne, en ce qu’il oblige l’État par son préfet à enfin prendre des mesures fortes à l’encontre des nuisances subies par les riverains du fait du transport par hélicoptères sur le Golfe.

Pour autant, il est à craindre que les pouvoirs publics ne prennent que des mesures minimales si la pression des riverains ne se maintient pas.


Dans ce contexte, il paraît primordial que les riverains impactés par ces nuisances se saisissent de cette jurisprudence qui leur est désormais favorable, et introduisent des recours à l’encontre de l’État afin d’obtenir l’indemnisation à laquelle ils ont droit.


Pour cela, il sera indispensable de constituer la preuve des préjudices subis par les riverains, notamment par le biais d’expertises acoustiques et médicales et d’évaluations du préjudice patrimonial.


De manière plus générale, il est impérieux que le ministère en charge des transports se saisisse à bras-le-corps de ce dossier afin de mener une révision du dispositif législatif régissant les hélistations et hélisurfaces ainsi que le transport par hélicoptère, pour y intégrer la protection des riverains impactés par les nuisances qu’il génère.



 
 
 

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